« il est beau comme un astre c'est un rêve repeint en couleurs d'aquarelle sur une perle - ses cheveux ont l'art des arabesques compliquées des salles du palais de l'Alhambra et son teint a le son argentin de la cloche qui sonne le tango du soir à mes oreilles pleines d'amour - tout son corps est rempli de la lumière de mille ampoules électriques allumées - son pantalon est gonflé de tous les parfums d'Arabie - ses mains sont de transparentes glaces aux pêches et aux pistaches - les huîtres de ses yeux renferment les jardins suspendus bouche ouverte aux paroles de ses regards et la couleur d'aïoli qui l'encercle répand une si douce lumière sur sa poitrine que le chant des oiseaux qu'on entend s'y colle comme un poulpe au mât du brigantin qui dans les remous de mon sang navigue à son image »
Qui sait que Picasso fut également un grand poète ? A l'âge de 55 ans, il se met à écrire " les centaines de poèmes qui dormaient " en lui.
Proliférant dans son activité de peintre, il l'est tout autant dans son travail d'écrivain qui comprend plus de quatre cents poèmes et trois pièces de théâtre écrits de 1935 à 1959. Peintre consacré mais jeune poète, Picasso utilise les mots avec une extrême liberté aussi bien sur le plan linguistique que plastique et visuel. D'une écriture vive, ses manuscrits souvent brouillons deviennent ailleurs de superbes dessins.
Première anthologie de ses poèmes en français, ce livre propose une sélection d'une centaine de textes parmi les plus significatifs et les plus beaux et donne les clés de lecture indispensables pour mieux pénétrer dans son univers foisonnant et inventif.
Publié en 1948, avec 125 lithographies de Pablo Picasso, Le chant des morts, qui devait ensuite prendre place dans Main d'oeuvre, est l'un des ensembles poétiques majeurs de Pierre Reverdy et l'un des plus singuliers puisqu'en résonance directe avec les années d'occupation, les déportations et l'ignominie des camps d'extermination. Jamais Reverdy n'avait ainsi retranscrit, dans sa langue unique, sa «magie verbale» disait André Breton, une suite aussi repérable d'événements historiques. C'est comme si la permanence du chant de Reverdy s'alliait d'un même souffle au chant si présent des morts pour une cantate trop humaine à force d'inhumanités encore et encore repérées, répétées, révélées.
En reproduisant l'édition originale, avec les lithographies de Picasso, Poésie/Gallimard poursuit sa redécouverte des grandes oeuvres qui ont vu la rencontre substantielle d'un poète et d'un peintre. Car il s'agit bien ici d'une oeuvre commune tant les traits de Picasso, d'une rare puissance répétitive, portent, propulsent, escortent les poèmes sublimes et infiniment douloureux de Reverdy.