C'était une époque où l'écriture n'existait pas, où les heurs et malheurs du quotidien étaient consignés dans la tête des anciens. Gardiens du temps, ils étaient archivistes du territoire, qu'ils sillonnaient saison après saison et dont ils connaissaient chaque rivière, chaque montagne. Ces récits du vieux chasseur Mathieu Mestokosho ont été collectés par l'anthropologue Serge Bouchard en 1970. Ils concernent la dernière génération des Innus à avoir passé leur vie entière dans le Nitassinan, confrontés, de campement en campement, du lac Brûlé à la rivière Saint-Jean, aux incommensurables forces de la nature. Mémoires d'une humanité nomade révolue, ils ont une valeur documentaire inestimable.
Les Innus habitent ce qui s'appelle aujourd'hui Québec depuis plusieurs millénaires. Ces nomades furent les premiers à établir des liens commerciaux et culturels avec les Européens. Ils forment aujourd'hui une nation d'environ dix-huit mille personnes regroupées en onze communautés dont la langue et la culture ont survécu à la sédentarisation et aux autres ravages de la colonisation.
C'est chez eux, en Boréalie, que Serge Bouchard a mené dans les années 1970 son étude de terrain en anthropologie. Depuis, en 50 ans d'amitié, il n'a jamais perdu de vue ces hommes et ces femmes d'une impétueuse résilience, et c'est à lui, Kauishtut, ou le Barbu, que les Innus ont confié le soin d'écrire leur histoire dans ce livre, des plus beaux et forts qu'il ait nous été donné de publier chez Lux Éditeur.
Connaissez-vous Massassoit, le vieux sage de la nation wampanoag, Jean-Baptiste Faribault et Jean Baptiste Eugène Laframboise, ces aventuriers canadiens-français qui ont bâti l'Ouest américain, ou l'oncle Yvan, revenu de la guerre alors que plus personne ne l'attendait, ou la tante Monique de Santa Monica ? Saviez-vous qu'une vieille Honda était douée de la parole, qu'une grande tortue sacrée vivait sur le boulevard Pie-IX, qu'un camion des années 1950 avait des yeux, et que ces yeux pouvaient parfois être tristes ? Voilà quelques-unes des merveilles que l'on découvre ici, ainsi que mille autres, grandioses ou infimes, lointaines ou familières, cachées dans le passé que nous avons oublié, chez les humbles que nous n'écoutons plus, ou bien là, tout près, dans la nature qui nous entoure comme dans la ville que nous habitons, mais que notre modernité trépidante et notre obsession de la vitesse et de l'efficacité nous empêchent de saisir.
Après C'était au temps des mammouths laineux (2012), voici de nouveau une trentaine de petits essais écrits avec cet art qui est la marque unique de Serge Bouchard, le timbre même de sa voix : un art qui est à la fois celui de l'anthropologue, nourri par une attention passionnée aux visages et aux récits inépuisables des humains, et celui du poète, confiant dans les pouvoirs révélateurs de l'imagination et du langage.
« Ce livre est un cadeau du ciel. L'anthropologue vagabond et merveilleux communicateur Serge Bouchard nous réconcilie avec la vie, avec nousmêmes et nos rêves de pays à faire en cette terre d'Amérique. » Jacques Lanctôt, Journal de Montréal « Dans cette soixantaine de textes pleins d'humanité et de mémoire, qu'il nous présente comme le »journal d'un anthropologue vagabond», l'auteur des Yeux tristes de mon camion et du Peuple rieur apparaît comme un puits sans fond lorsqu'il est question des Premières Nations et des traces des premiers explorateurs canadiens-français ou métis de l'Amérique du Nord. [...] Un éloge de la liberté et un appel pressant pour »rendre son dû à la beauté»» Christian Desmeules, Le Devoir
De sa manière inimitable, sur le ton de la confidence, Serge Bouchard jette un regard sensible et nostalgique sur le chemin parcouru. Son enfance, son métier d'anthropologue, sa fascination pour les cultures autochtones, pour celle des truckers, son amour de l'écriture.
Toujours en quête d'identité, butant et rebondissant sur son mal de vivre, notre société n'a jamais cessé de se surpasser, de vaincre ses complexes et de faire son cinéma. Film après film, elle a tenté de trouver sa juste place dans sa propre histoire. Tout au long de cet ouvrage, l'anthropologue Serge Bouchard débusque, pour mieux les mettre en relation, les images fortes dans ces productions issues des soixante premières années du cinéma québécois (1940-2000). Il pose un regard attentif sur des oeuvres brodées de nos travers, de nos faiblesses, mais aussi de notre humour, de notre inventivité; il nous tend un miroir. Les images que nous sommes est un ouvrage splendide à la mémoire des personnages, des artisans et des histoires qui ont marqué la cinématographie québécoise. Un livre qui nous rappelle à nous-mêmes et témoigne du chemin que nous avons parcouru.
Serge Bouchard est un orignal. Il a la couenne dure, le cou puissant, le sabot obstiné. Il est de ce cuir dont on fait les bêtes lumineuses. S'il sait aller le nez en l'air, humant l'air du temps, dire d'où vient le vent et ce qu'il emportera, il préfère observer le sol.
Il y trouve des indices, des pistes, des fragments qu'il emmagasine, des brindilles qu'il tisse d'un sens nouveau. Mais là où il excelle, c'est quand il creuse. L'humus riche des habitudes enfouies le ravit, il plonge un sabot gourmand dans ces débris, se réjouit de leur odeur étrange et familière à la fois. Immanquablement, il s'enfonce dans les bois opaques et en ramène des morceaux choisis. C'est qu'il sait caller, l'orignal.
Marie-France Bazzo (extrait de la préface)
Les quelque soixante-dix textes qui composent ce nouveau recueil de Serge Bouchard pourraient s'appeler des « micro-essais », d'abord parce qu'ils ont été écrits pour la radio de Radio-Canada, et aussi en raison de l'exigence artistique qui les inspire, celle de la brièveté, c'est-à-dire d'une prose aussi dense, économique et précise que possible, et qui possède en même temps le pouvoir d'évocation de la poésie. Mais avant tout, ce recueil est un livre d'amour et de deuil, tout entier placé sous le signe de Marie, la compagne trop tôt disparue, dont la présence (ainsi que l'absence) colore chaque page, chaque phrase, chaque évocation. Non pas qu'il y soit toujours question d'elle, loin de là ; comme toujours chez Serge Bouchard, c'est de notre vie quotidienne, de notre monde, de notre passé, de la nature autour de nous qu'il est question, et en particulier de tout ce que nous ne voyons pas et que seul le regard affûté du poète anthropologue sait nous faire découvrir. Mais Marie est toujours là, tout près, en arrière-plan, dans la pièce d'à côté, en quelque sorte, et c'est dans son regard et son esprit à elle que tout se déploie, autant que dans ceux de son compagnon qui tient la plume.
« Nous prenons ce bon café, le premier du matin, nous établissons ensemble le plan de la journée, de la semaine. Marie mange des oeufs à la coque avec des mouillettes. Nous voudrions tous les deux que ce moment dure, nous voudrions abolir le futur. Plus rien n'existe que cet instant, que cette scène où nous discutons, Marie et moi, en buvant notre tasse de café. Mais le meilleur, c'est quand elle ne dit mot, quand je garde moi-même le silence, et que nous nous entendons penser, elle dans ma tête et moi dans la sienne. »
En 1970, jeune anthropologue, Serge Bouchard recueillait les propos de Mathieu Mestokosho, décédé en 1980 presque centenaire, chasseur montagnais de la Minganie et du Labrador. Par la parole de Mathieu, c'est tout un monde ancien qui revit, celui des enfants de la Terre de Caïn que les colons européens avaient choisi d'ignorer.
Heureusement pour nous, la mémoire de Mathieu Mestokosho nous permet de nous réapproprier bien tardivement toute une part de notre héritage culturel que nous avons failli laisser perdre.
« Les émotions que m'avait procurées il y a dix ans la première lecture de ce texte sont demeurées intactes. Ces émotions, elles tiennent d'abord à la poésie des grands espaces de neige, aussi doux que violents, aussi limpides que mystérieux; non pas ces espaces que nous nous sommes plu à rêver sans guère les connaître (et en reprenant souvent le discours de l'Européen), mais ceux que Mestokosho et les siens ont pratiqués pendant
des millénaires et que ce survivant, tout proche de la mort, raconte dans ses mots.
L'émotion jaillit aussi des gestes les plus simples, ceux de la vie quotidienne arbitrée par le rapport à la nature c'est-à-dire aux esprits qui sont partout et qui veillent, qui protègent ou punissent selon leurs humeurs du moment. Enfin, c'est un grand émoi qui s'empare du lecteur confronté à la tragédie qui guette constamment, à la famine qui menace, à la présence discrète de la mort. Mais une mort apprivoisée, qui fait partie de la culture et de la mémoire, et que le vieil homme évoque sur un ton respectueux, certes, mais étrangement familier, pacifié, à travers des épisodes dont il ne paraît pas
mesurer la gravité et la beauté.
Le récit que voici, dans son dépouillement, dans sa simplicité, livré avec la plus grande économie de mots et de moyens, offre l'occasion d'une véritable plongée au coeur de cette vie ancienne, qu'il permet d'imaginer telle qu'elle a pu être avant l'arrivée des civilisateurs. Pour le reste, on en conviendra, c'était bien la moindre des choses que la technologie du Blanc, par le truchement du magnétophone, fasse renaître au moins dans la parole ce monde qu'elle a tant contribué à défaire. » Extrait de la préface de Gérard
Bouchard
Qu'avons-nous fait du passé, de l'héritage de nos parents, des premiers peuples qui ont habité notre pays ? Que faisons-nous de la nature qui nous entoure et nous nourrit ? Quel sens avons-nous aujourd'hui de notre humanité ? Et qu'en est-il des grandes énigmes liées à l'infini du temps, à la beauté, à l'amour, à la parole humaine, à l'âge qui vient, à la mort qui nous attend.
Ces questions, Serge Bouchard ne les aborde jamais de haut, en théoricien ou en professeur de morale, mais au plus près de lui-même et de sa vie, comme des thèmes existentiels pour l'élucidation desquels il convoque ses souvenirs d'enfance et de jeunesse, ses voyages, ses découvertes, ses lectures ou ses enquêtes d'anthropologue du concret, et toutes les leçons de tendresse, de lucidité et d'ironie que ces expériences lui ont apportées. Ainsi les pages de ce nouveau recueil forment-elles en même temps une sorte d'autobiographie en pièces détachées, où apparaît peu à peu le portrait d'un homme qui a beaucoup vécu, beaucoup réfléchi, reçu sa part de joie comme sa part de chagrin, et qui n'a jamais cessé de chercher partout les traces de l'humain, de cette simplicité, cette modestie et cette lenteur qui à ses yeux font toute la valeur de l'humain.
C'est une partie de ces réflexions que Serge Bouchard nous livre ici, à travers cette prose à la fois limpide et poétique que nous lui connaissons, une prose où s'entendent les inflexions d'une voix unique, absolument singulière, qui nous parle de près, de tout près, comme à des proches.
Donnacona, Membertou, Anadabijou, Pontiac et Kondiaronk sont les personnages centraux d'Ils étaient l'Amérique. Aucun d'eux n'a laissé de témoignage direct de sa vie ni de trace écrite, aucun d'eux n'a eu la vanité de soigner son image pour la postérité. Il a été terriblement facile d'enterrer leur importance politique et d'effacer de la mémoire collective leurs aspirations. C'est l'histoire en miettes d'un choc entre deux mondes, dont on dit à tort que l'un était ancien et l'autre nouveau, qui est racontée dans cette mosaïque de textes courts et poétiques.
Les femmes sont absentes de l'histoire officielle de l'Amérique - ne le dit-on pas assez ? Les Amérindiennes certainement, mais aussi toutes les autres, sans distinction culturelle : Inuites, Canadiennes, Anglaises, Noires, Françaises et Métisses. Plusieurs d'entre elles sont des êtres d'exception dont le contact avec ce vaste continent a révélé l'intelligence et le caractère. Elles ont fait l'Amérique rétablit la mémoire de quinze de ces « remarquables oubliées », héroïnes aux exploits invisibles, résistantes, pionnières, aventurières, diplomates, scientifiques, exploratrices ou artistes...
Ce livre s'inspire du matériau et de la philosophie de la série radiophonique De remarquables oubliés, produite et diffusée par la Première Chaîne de Radio-Canada.
Voici les pérégrinations de quatorze coureurs des bois. Ceux qui ont couru l'Amérique. En suivant leurs traces, nous pénétrons au coeur de l'infrahistoire - cette part plus obscure de la grande épopée humaine, mais qui en donne souvent le meilleur éclairage. Voyons leurs exploits. Créons leur légende. Car les grands récits nord-américains ont systématiquement omis de parler de ces «Canadiens» - ainsi qu'on appelait les Canadiens français jusqu'au début du XXe siècle. De même, nos propres élites bourgeoises et cléricales n'ont guère jugé à propos d'en cultiver le souvenir. Et pourtant. Depuis Étienne Brûlé, «l'ensauvagé», jusqu'au père Lacombe, dit le «petit sauvage», chacun de ces découvreurs mérite de figurer parmi les icônes de la grande aventure de l'Amérique. S.B. et M.-C.L.
De novembre 1975 jusqu'au mois d'octobre 1976, Serge Bouchard a voyagé avec des camionneurs dans le Nord-Ouest québécois. Son but : étudier et observer leur travail pour en faire le sujet de sa thèse de doctorat. Serge Bouchard et Mark Fortier ont transformé la matière de cette recherche ethnographique unique en un portrait vivant et pénétrant du monde des camionneurs.
Ce livre nous transporte sur les routes du nord à l'époque des grands chantiers de la Baie- James, mais il nous mène aussi beaucoup plus loin. Parlant des camions, c'est des mystères de la vie et des élans de la liberté dont il nous entretient.
Cest un livre dimpressions, de réflexions, de poésie et de grandes voyageries entre la baie de James et le Labrador, entre les terres de la Moyenne Côte-Nord et les berges de la baie dUngava. Cet ouvrage est modelé par le territoire situé au-delà du 49e parallèle, avec ses gens, ses peuples, ses manières de dire, de concevoir et dappréhender le monde. La photographie importe. Les images de la nordicité québécoise y sont saisissantes, majestueuses, quasi surréelles. Des textes courts, dinspiration nordique, ont été semés ici et là par les deux auteurs principaux. Onze « coups de cur » dautres nordistes parlent dadoption, de cinéma, dépinettes noires et dintimité avec la Nature, en même temps que de la rude réalité inuite du temps présent. Objectif Nord donne une vue densemble dun monde qui porte le souffle même du « tout Québec », pour reprendre une expression chère au géographe Louis-Edmond Hamelin.