Simone Weil laisse le souvenir d'une figure étrange, surhumaine par certains aspects, qui attire et repousse en même temps. On lui reconnaît une puissance intellectuelle exceptionnelle, une force morale digne des héros, un courage et un esprit de résistance hors pair, mais une intransigeance dans l'existence qui fait peur et qui s'accompagne d'une lucidité souvent prophétique.De son vivant, comme aujourd'hui, elle dérange, irrite, scandalise, tout en suscitant l'attachement le plus vif.Plus de cinquante ans après sa disparition, on est enfin en mesure d'embrasser la totalité d'une vie et d'une oeuvre foisonnante, et d'en dégager la cohérence dans toute sa force.Le but de ce volume est de faire tenir ensemble la militante, la philosophe et la mystique, car tout est solidaire dans cette pensée aux vues puissamment convergentes.Enfin, une série de témoignages sur Simone Weil, la réception de son oeuvre (Blanchot, Cioran, Sperber...) et sa diffusion à l'étranger complètent ce volume et lui apportent de précieux éclairages.
En décembre 1934, Simone Weil entre comme «manoeuvre sur la machine» dans une usine. Professeur agrégé, elle ne se veut pas «en vadrouille dans la classe ouvrière», mais entend vivre la vocation qu'elle sent être sienne : s'exposer pour découvrir la vérité. Car la vérité n'est pas seulement le fruit d'une pensée pure, elle est vérité de quelque chose, expérimentale, «contact direct avec la réalité».
Ce sera donc l'engagement en usine, l'épreuve de la solidarité des opprimés - non pas à leurs côtés, mais parmi eux.
L'établissement en usine, comme, plus tard, l'engagement aux côtés des anarchistes espagnols ou encore dans les rangs de la France libre, est la réponse que Simone Weil a trouvée au mensonge de la politique, notamment celle des dirigeants bolcheviks qui prétendaient créer une classe ouvrière libre, alors qu'aucun «n'avait sans doute mis le pied dans une usine et par suite n'avait la plus faible idée des conditions réelles qui déterminent la servitude ou la liberté des ouvriers».
Ce qui, toujours, a fait horreur à Simone Weil dans la guerre, qu'elle soit mondiale ou de classes, «c'est la situation de ceux qui se trouvent à l'arrière».
TL'enracinement est peut-etre le besoin le plus important et le plus méconnu de l'âme humaine. C'est un des plus difficiles ´r définir. Un etre humain a une racine par sa participation réelle, active et naturelle ´r l'existence d'une collectivité qui conserve vivants certains trésors du passé et certains pressentiments d'avenir. Participation naturelle, c'est-´r-dire amenée automatiquement par le lieu, la naissance, la profession, l'entourage. Chaque etre humain a besoin d'avoir de multiples racines. Il a besoin de recevoir la presque totalité de sa vie morale, intellectuelle, spirituelle, par l'intermédiaire des milieux dont il fait naturellement partie.t Simone Weil.
«La période présente est de celles où tout ce qui semble normalement constituer une raison de vivre s'évanouit, où l'on doit, sous peine de sombrer dans le désarroi ou l'inconscience, tout remettre en question. Que le triomphe des mouvements autoritaires et nationalistes ruine un peu partout l'espoir que de braves gens avaient mis dans la démocratie et dans le pacifisme, ce n'est qu'une partie du mal dont nous souffrons ; il est bien plus profond et bien plus étendu. On peut se demander s'il existe un domaine de la vie publique ou privée où les sources mêmes de l'activité et de l'espérance ne soient pas empoisonnées par les conditions dans lesquelles nous vivons. Le travail ne s'accomplit plus avec la conscience orgueilleuse qu'on est utile, mais avec le sentiment humiliant et angoissant de posséder un privilège octroyé par une passagère faveur du sort, un privilège dont on exclut plusieurs êtres humains du fait même qu'on en jouit, bref une place.»
Lorsque Simone Weil meurt d'épuisement, physique et moral, en Angleterre, à Ashford, le 24 août 1943, à l'âge de trente-quatre ans, son oeuvre publiée se réduit à quelques articles parus dans des revues le plus souvent politiques ou syndicales. Mais elle laisse une quantité de manuscrits divers qui seront pieusement recueillis par ses parents et par ses amis.Bien des inédits ont pu être découverts à la suite d'un examen systématique des «papiers» mis à la disposition des éditeurs:esquisses de textes abandonnés en cours de rédaction, cahiers et carnets non reproduits dans les éditions antérieures, notes préparatoires à des cours ou à des travaux plus élaborés. Inédite aussi, pour une large part, la correspondance familiale et générale que sera offerte au public. La recherche persévérante des articles de Simone Weil a permis de retrouver des textes fort peu ou mal connus, mais nullement négligeables.L'édition des oeuvres complètes de Simone Weil ainsi réunies formera seize volumes répartis en sept tomes.
A une exception près, tous les écrits rassemblés dans ce volume furent composés ou réunis durant les six derniers mois qui ont précédé le départ de Simone Weil pour les Etats-Unis, en mai 1942.
Ainsi une réelle unité préside à ce recueil de textes, dont certains furent publiés de façon dispersée dans La Source grecque (1953), Intuitions pré-chrétiennes (1951, 1985) et les Ecrits historiques et politiques (1960). Les éditions antérieures s'étant révélées parfois lourdement fautives, il a fallu défaire les amalgames malencontreux et redresser la chronologie. C'est ce que propose cette édition entièrement nouvelle, qui ajoute au corpus déjà constitué une ample moisson de textes inédits, ainsi que la matière de deux ouvrages que Simone Weil a copieusement annotés, le Timée de Platon et la Bhagavad - gita.
La richesse des traductions - même partielles - qu'elle proposait et l'intérêt des notes marginales justifiaient l'insertion de ces éléments nouveaux dans les oeuvres complètes. Simone Weil a longuement analysé, comme en témoignent les précédents volumes, les fondements de notre civilisation : le travail, la technique, la politique et la science. Dans les Cahiers apparaît la place prépondérante accordée à un autre élément, la spiritualité, sous la forme - Simone Weil n'en fait pas mystère - du christianisme.
Cependant, seule l'attention accordée à d'autres spiritualités était de nature à porter le catholicisme, auquel elle tend, au-delà de lui-même. L'hellénisme s'est prolongé dans le christianisme, mais l'Inde ou la Chine restent hors de la prétention du catholicisme à l'universalité. C'est pourquoi, outre les écrits qui se rapportent aux sources privilégiées que sont la Grèce, l'Inde et l'Occitanie, on découvrira un ensemble de commentaires relatifs à l'Egypte ancienne, à la Chine et au Japon.
Telle est l'unité des écrits réunis dans ce volume : le christianisme " doit contenir toutes les vocations ". Cependant, par cette expression, Simone Weil ne vise pas l'absorption des autres spiritualités par le christianisme ; elle formule l'exigence d'une extension de la spiritualité chrétienne par une reconnaissance de ce qu'il y a d'universel dans chacune des autres traditions.
Simone Weil a quitté New York le 10 novembre 1942. Arrivée en Angleterre le 26, elle rejoint Londres le 14 décembre. Il lui reste huit mois à vivre. Elle écrit pendant cette période un nombre impressionnant de textes, dont l'Étude pour une déclaration des obligations envers l'être humain et le Prélude à une déclaration des devoirs en vers l'être humain connu sous le titre L'Enracinement (titre que nous n'avons pas cru devoir modifier, afin de ne pas dérouter le lecteur). Ce sont ces deux écrits qui sont repris dans le présent volume.
S'agissant de l'« Étude pour une déclaration des obligations envers l'être humain », il n'existe aucun manuscrit complet de ce texte, la première (et seule) édition, dans les Écrits de Londres (Gallimard, 1957), donnait l'impression d'un texte continu, établi pas Simone Weil elle-même.
En réalité, sa rédaction a été reprise plusieurs fois, ce qui montre l'importance revêtue, aux yeux de son auteur, par cet écrit. Nous donnons une version proche de celle qu'on trouve dans la première édition, mais nous publions les ébauches de ce texte, qui restitue les étapes d'un travail en cours. L'Étude pour une déclaration des obligations envers l'être humain et le dossier qui l'accompagne constituent la meilleure préparation à la lecture de L'Enracinement.
Quant à l'intérêt de L'Enracinement, il est bien résumé par Albert Camus : « Il paraît impossible d'imaginer pour l'Europe une renaissance qui ne tienne pas compte des exigences que Simone Weil a définies. » Les éditions antérieures, parues chez Gallimard (coll. « Idées », « Folio-Essais », « Quarto ») ont toutes repris le texte paru en 1949 (dans la coll. « Espoir »). La présente édition se distingue par plusieurs traits.
D'abord, elle reproduit scrupuleusement le manuscrit de Simone Weil, qui se présente comme un texte suivi, sans les titres et les sous-titres ajoutés par les premiers éditeurs. La présente édition montre que L'Enracinement, contrairement à une thèse répandue, est un texte achevé.
Enfin, l'appareil critique met en évidence la dimension politique de l'essai, intérêt dont on a pu douter lors de sa parution, en 1949. C'est sur ce dernier point que se joue l'originalité du volume, qui devrait inaugurer une lecture nouvelle d'une oeuvre trop recouverte, depuis plus de soixante ans, par des commentaires qui ont cru y voir l'expression d'une pensée « réactionnaire », résolument « antimoderne ».
Simone Weil et ses parents ont quitté Paris, le 13 juin 1940, et arrivent à Marseille avant le 15 septembre. Elle cherche rapidement une filière qui lui permettrait de partir pour Londres. Quitter Marseille n'étant pas aussi rapide qu'elle l'avait cru, elle consacre son séjour - jusqu'au 14 mai 1942 - à des activités de résistance, au travail agricole et à l'écriture. Enfin, grâce à l'amitié nouée avec le dominicain Joseph-Marie Perrin, son attention s'orientera vers des dimensions de la spiritualité auxquelles elle n'aurait pas été aussi attentive sans les onze mois d'échanges qu'elle eut avec le religieux. L'unité de la réflexion, à travers la variété des domaines abordés dans ce recueil, apparaît clairement grâce à la combinaison du principe chronologique et d'un principe thématique. Les textes sont regroupés suivant trois sections : science, religion, politique. L'intérêt porté par Simone Weil à la science de son temps devient central dans les écrits de ce volume. Un examen critique est nécessaire à l'évaluation d'une des prétentions de la science contemporaine : donner "une expression moderne et occidentale" à la valeur de vérité. Parallèlement, Simone Weil trace un chemin religieux personnel. Le rassemblement des principaux textes religieux en un volume fait percevoir toute la complexité de sa position : " aussi proche que possible du catholicisme sans être pourtant catholique " en arrivant à Marseille, croyant s'en être " beaucoup rapprochée > à la fin de son séjour, et écrivant pourtant, après son départ, avoir " senti d'une manière définitive et certaine " que sa vocation lui imposait de "rester hors de l'Eglise ". Simone Weil poursuit enfin sa réflexion politique et sociale. Ce sont les conditions tragiques de la guerre qui occupent ici le premier plan.
«La période présente est de celles où tout ce qui semble normalement constituer une raison de vivre s'évanouit, où l'on doit, sous peine de sombrer dans le désarroi ou l'inconscience, tout remettre en question.» Ainsi s'ouvrent les Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale, que Simone Weil rédige en 1934, peu avant de s'embaucher en usine. Triomphe des «mouvements autoritaires et nationalistes» un peu partout dans le monde, crise économique, chômage, misère ouvrière, incertitudes patronales, effets pervers du progrès technique, autant de phénomènes angoissants qui imposent cette remise en question. Les Réflexions ne s'achèvent pourtant pas sur un constat d'impuissance et une consigne de résignation : lutter contre l'oppression, et d'abord l'analyser («faire l'inventaire de la civilisation présente») reste un devoir éthique. L'action historique reste possible et nécessaire, gagée non plus sur les classes, mais sur «la bonne volonté éclairée des hommes agissant en tant qu'individus». Peu après le «Grand Oeuvre», Simone Weil s'engage en usine. Expérience cruciale, dont le Journal d'usine témoigne sur le vif, mais dont nombre de textes ultérieurs ne cesseront de porter la trace, parfois inattendue. Simone Weil, dans les années qui suivent, va chercher à inventer ce que pourraient être les «conditions d'un travail non servile», pour reprendre le titre d'un texte écrit à Marseille bien plus tard (1941-1942). L'année d'usine lui a appris qu'il y a avait des situations d'oppression telles que celui qui les vivait ne pouvait plus «concevoir» ni «vouloir autre choses que ce qui existe». Elle ne l'oubliera pas. Il reviendra au lecteur à se demander si son évolution ultérieure fut une manière autre de «vouloir autre chose que ce qui existe», de rester fidèle à l'aspiration à un monde moins injuste qui avait guidé ses engagements.
En 1937, Simone Weil lutte de toutes ses forces pour que les Européens «ne recommencent pas la guerre de Troie». Pourtant, la guerre est là en 1940 et, devant l'irréparable, elle se fonde sur l'Iliade pour analyser le mécanisme de la force meurtrière. Entre ces deux dates, une série d'articles, parus dans diverses revues, nous permet de suivre l'évolution de la philosophe qui la mène du pacifisme presque inconditionnel à l'acceptation d'un inévitable conflit. Et celle qui, en 1937, préfère la défaite à la guerre, reconnaît en 1940 que la France a le droit de combattre pour sa propre existence, justifiant ainsi l'accusation qu'elle se portera à elle-même de négligence criminelle à l'égard de sa patrie pour son soutien des milieux pacifistes d'avant 1939. Une telle évolution, si déchirante pour Simone Weil, s'accompagne naturellement de la profonde méditation qu'elle poursuit sur les problèmes coloniaux : ceux-ci l'obligent à contester, plus nettement encore en ce temps de guerre, le droit moral de la France à se réclamer des grands principes. L'affligeante constatation des bouleversements en cours pousse aussi Simone Weil à la recherche des origines de l'hitlérisme qu'elle rattache à l'Empire romain. La lucidité et le discernement de Simone Weil, penseur politique, sont tels que beaucoup des textes ici rassemblés frappent par leur actualité. Simone Fraisse en sa préface s'attache à préciser leur genèse et se plaît à souligner que, si l'on ne peut toujours prendre «à la lettre» les conclusions de Simone Weil, «on peut au moins prendre au sérieux l'intention qui l'a guidée : une attitude de soupçon à l'égard de l'histoire officielle et des idées reçues, une quête de la vérité cachée sous les images d'Épinal transmises par la tradition scolaire, et finalement une leçon d'histoire. Une leçon d'humanité aussi.»
Ce volume réunit la correspondance échangée par Simone Weil avec ses parents et avec son frère, le mathématicien André Weil. Ces échanges épistolaires appartiennent au registre de la vie privée, mais ils n'éloignent pas de la réflexion et de l'action dans une sphère élargie, celle de l'engagement syndical et politique déployé par Simone Weil entre 1926 et 1943. On y trouve des récits, des analyses et des jugements sur des expériences vécues en première ligne par la philosophe, depuis les prises de position remarquées de l'étudiante et du jeune professeur jusqu'à l'enrôlement dans les services de la France Libre à Londres, en passant par le bref engagement dans la guerre d'Espagne. Une grande partie de la correspondance entre Simone et André Weil date de l'époque où ce dernier était emprisonné pour insoumission, entre février et début mai 1940. Ces circonstances offrent à Simone Weil l'occasion d'aborder, par le biais de considérations sur la science grecque, un enjeu majeur de sa réflexion : exhorter à un «effort de pensée analogue à celui d'Eudoxe» face à la crise de notre civilisation. Il est passionnant de confronter l'attitude du mathématicien, qui défend une pure éthique de savant, avec la vocation de la philosophe s'exposant à la dure nécessité qui régit ce monde.
Lorsque Simone Weil meurt d'épuisement, physique et moral, en Angleterre, à Ashford, le 24 août 1943, à l'âge de trente-quatre ans, son oeuvre publiée se réduit à quelques articles parus dans des revues le plus souvent politiques ou syndicales. Mais elle laisse une quantité de manuscrits divers qui seront pieusement recueillis par ses parents et par ses amis.Bien des inédits ont pu être découverts à la suite d'un examen systématique des «papiers» mis à la disposition des éditeurs:esquisses de textes abandonnés en cours de rédaction, cahiers et carnets non reproduits dans les éditions antérieures, notes préparatoires à des cours ou à des travaux plus élaborés. Inédite aussi, pour une large part, la correspondance familiale et générale que sera offerte au public. La recherche persévérante des articles de Simone Weil a permis de retrouver des textes fort peu ou mal connus, mais nullement négligeables.L'édition des oeuvres complètes de Simone Weil ainsi réunies formera seize volumes répartis en sept tomes.
Lorsque Simone Weil meurt d'épuisement, physique et moral, en Angleterre, à Ashford, le 24 août 1943, à l'âge de trente-quatre ans, son oeuvre publiée se réduit à quelques articles parus dans des revues le plus souvent politiques ou syndicales. Mais elle laisse une quantité de manuscrits divers qui seront pieusement recueillis par ses parents et par ses amis. Bien des inédits ont pu être découverts à la suite d'un examen systématique des «papiers» mis à la disposition des éditeurs : esquisses de textes abandonnés en cours de rédaction, cahiers et carnets non reproduits dans les éditions antérieures, notes préparatoires à des cours ou à des travaux plus élaborés. Inédite aussi, pour une large part, la correspondance familiale et générale que sera offerte au public. La recherche persévérante des articles de Simone Weil a permis de retrouver des textes fort peu ou mal connus, mais nullement négligeables. L'édition des oeuvres complètes de Simone Weil ainsi réunies formera seize volumes répartis en sept tomes.
Les cinq cahiers qui composent ce volume offrent les grandes lignes - souvent fulgurantes - d'une anthropologie religieuse, exprimée en termes rudes mais qui «nettoient». Un vaste réseau analogique enserre le tout, mais favorise, en dernière instance, les mathématiques (le logos face au muthos), ce qui donne à la pensée de cette «pythagoricienne» un éclat et une densité particuliers. L'index analytique très complet qui accompagne ce volume démonte les pièces d'un sytème conceptuel à la fois solide et raffiné.
Ce deuxième volume des Cahiers (qui en comprendront quatre au total) rassemble les carnets du début de la guerre, de 1941 à 1942, alors que Simone Weil, dans le sud de la France, en zone libre, s'oriente de plus en plus résolument vers l'approfondissement de son aspiration religieuse et «mystique». Ces textes témoignent donc de ses lectures des sources sacrées, la Bible, le Tao, la Bhagavad-Gita, les Upanishad, ainsi que de sa constante préoccupation philosophique : lectures de Platon, réflexion sur les sciences, les mathématiques notamment.
Lorsque Simone Weil meurt d'épuisement, physique et moral, en Angleterre, à Ashford, le 24 août 1943, à l'âge de trente-quatre ans, son oeuvre publiée se réduit à quelques articles parus dans des revues le plus souvent politiques ou syndicales. Mais elle laisse une quantité de manuscrits divers qui seront pieusement recueillis par ses parents et par ses amis.Bien des inédits ont pu être découverts à la suite d'un examen systématique des «papiers» mis à la disposition des éditeurs : esquisses de textes abandonnés en cours de rédaction, cahiers et carnets non reproduits dans les éditions antérieures, notes préparatoires à des cours ou à des travaux plus élaborés. Inédite aussi, pour une large part, la correspondance familiale et générale que sera offerte au public. La recherche persévérante des articles de Simone Weil a permis de retrouver des textes fort peu ou mal connus, mais nullement négligeables.L'édition des oeuvres complètes de Simone Weil ainsi réunies formera seize volumes répartis en sept tomes.
Simone Weil, dans cette ébauche assez poussée de tragédie, n'a pas, semble-t-il, désiré donner une adaptation de la célèbre pièce d'Otway, Venise sauvée. Elle-même résume son ouvrage en quelques mots. «C'est, dit-elle, la conjuration des Espagnols contre Venise en 1618, racontée par l'abbé de Saint Réal.» On y retrouve toutefois les deux personnages centraux d'Otway:Pierre et Jaffier, qu'unissent une amitié si profonde que Pierre n'hésite pas à affirmer:«Jaffier est plus que moi-même.» C'est en 1940 que Simone Weil commença d'écrire cette Venise sauvée. Ce projet lui tenait à coeur; ses confidences et plusieurs cahiers de brouillons en témoignent. (On a pu réunir, par exemple, une cinquantaine de versions du grand monologue de Jaffier.) Pour éclairer ses intentions et compléter dans la mesure du possible le texte de cette tragédie restée inachevée, nous publions en préface les notes éparses dans les cahiers de Simone Weil et qui se réfèrent à Venise sauvée. C'est du reste sur sa demande que ces notes furent réunies et lui furent envoyées à Londres en même temps qu'une copie du texte de la tragédie. L'intention de Simone Weil était à ce moment d'achever Venise sauvée. La mort seule l'en empêcha.
Dans le présent recueil qui réunit les études consacrées par Simone Weil à la critique sociale et politique, les Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale développent le raisonnement principal, qui commande tous les autres parce qu'il a été le souci privilégié de l'auteur, le tourment qui n'a jamais quitté Simone Weil, même, et surtout, à l'intérieur de sa pensée religieuse:le tourment de l'injustice. Depuis Marx, en tout cas, dont la doctrine est d'ailleurs longuement examinée ici, la pensée politique et sociale n'avait rien produit en Occident de plus pénétrant et de plus prophétique. Simone Weil a elle-même considéré les Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale comme son oeuvre principale. Ce texte a été écrit en 1934.
Les textes réunis dons ce volume ont été écrits par Simone Weil dons la dernière période de sa vie, à la même époque que L'Enracinement, les Notes écrites à Londres (publiées dans La Connaissance surnaturelle), les Notes sur Cléanthe, Phérécyde, Anaximandre et Philolaos (publiées dans La Source grecque), et Y a-t-il une doctrine marxiste ? (publié dans Oppression et Liberté). La plus grande partie en est composée d'études rédigées pour les services de la France libre et concernant la réorganisation de la France après la guerre. À ces études s'ajoutent des fragments écrits à la même époque et appartenant en général au même ordre de réflexions. Enfin on a joint à ces textes des documents qui éclairent les circonstances dans lesquelles Simone Weil formait ses dernières pensées. Ce sont pour la plupart des lettres écrites de Londres. Toutefois quelques-uns de ces documents : les trois premières lettres à Maurice Schumann et le Plan pour une formation d'infirmières de première ligne, ont été envoyés de New York, avant l'arrivée de Simone Weil en Angleterre ; mais ils contribuent à faire comprendre dans quel but elle voulut y aller, et quel y était son état d'esprit. On sait que, consumée par le chagrin de ne pouvoir obtenir une mission en France, elle tomba malade et fut hospitalisée en avril 1943. Les lettres à ses parents, à partir de celle du 17 avril, ont été écrites à l'hôpital.