Simone Weil a quitté New York le 10 novembre 1942. Arrivée en Angleterre le 26, elle rejoint Londres le 14 décembre. Il lui reste huit mois à vivre. Elle écrit pendant cette période un nombre impressionnant de textes, dont l'Étude pour une déclaration des obligations envers l'être humain et le Prélude à une déclaration des devoirs en vers l'être humain connu sous le titre L'Enracinement (titre que nous n'avons pas cru devoir modifier, afin de ne pas dérouter le lecteur). Ce sont ces deux écrits qui sont repris dans le présent volume.
S'agissant de l'« Étude pour une déclaration des obligations envers l'être humain », il n'existe aucun manuscrit complet de ce texte, la première (et seule) édition, dans les Écrits de Londres (Gallimard, 1957), donnait l'impression d'un texte continu, établi pas Simone Weil elle-même.
En réalité, sa rédaction a été reprise plusieurs fois, ce qui montre l'importance revêtue, aux yeux de son auteur, par cet écrit. Nous donnons une version proche de celle qu'on trouve dans la première édition, mais nous publions les ébauches de ce texte, qui restitue les étapes d'un travail en cours. L'Étude pour une déclaration des obligations envers l'être humain et le dossier qui l'accompagne constituent la meilleure préparation à la lecture de L'Enracinement.
Quant à l'intérêt de L'Enracinement, il est bien résumé par Albert Camus : « Il paraît impossible d'imaginer pour l'Europe une renaissance qui ne tienne pas compte des exigences que Simone Weil a définies. » Les éditions antérieures, parues chez Gallimard (coll. « Idées », « Folio-Essais », « Quarto ») ont toutes repris le texte paru en 1949 (dans la coll. « Espoir »). La présente édition se distingue par plusieurs traits.
D'abord, elle reproduit scrupuleusement le manuscrit de Simone Weil, qui se présente comme un texte suivi, sans les titres et les sous-titres ajoutés par les premiers éditeurs. La présente édition montre que L'Enracinement, contrairement à une thèse répandue, est un texte achevé.
Enfin, l'appareil critique met en évidence la dimension politique de l'essai, intérêt dont on a pu douter lors de sa parution, en 1949. C'est sur ce dernier point que se joue l'originalité du volume, qui devrait inaugurer une lecture nouvelle d'une oeuvre trop recouverte, depuis plus de soixante ans, par des commentaires qui ont cru y voir l'expression d'une pensée « réactionnaire », résolument « antimoderne ».
Simone Weil et ses parents ont quitté Paris, le 13 juin 1940, et arrivent à Marseille avant le 15 septembre. Elle cherche rapidement une filière qui lui permettrait de partir pour Londres. Quitter Marseille n'étant pas aussi rapide qu'elle l'avait cru, elle consacre son séjour - jusqu'au 14 mai 1942 - à des activités de résistance, au travail agricole et à l'écriture. Enfin, grâce à l'amitié nouée avec le dominicain Joseph-Marie Perrin, son attention s'orientera vers des dimensions de la spiritualité auxquelles elle n'aurait pas été aussi attentive sans les onze mois d'échanges qu'elle eut avec le religieux. L'unité de la réflexion, à travers la variété des domaines abordés dans ce recueil, apparaît clairement grâce à la combinaison du principe chronologique et d'un principe thématique. Les textes sont regroupés suivant trois sections : science, religion, politique. L'intérêt porté par Simone Weil à la science de son temps devient central dans les écrits de ce volume. Un examen critique est nécessaire à l'évaluation d'une des prétentions de la science contemporaine : donner "une expression moderne et occidentale" à la valeur de vérité. Parallèlement, Simone Weil trace un chemin religieux personnel. Le rassemblement des principaux textes religieux en un volume fait percevoir toute la complexité de sa position : " aussi proche que possible du catholicisme sans être pourtant catholique " en arrivant à Marseille, croyant s'en être " beaucoup rapprochée > à la fin de son séjour, et écrivant pourtant, après son départ, avoir " senti d'une manière définitive et certaine " que sa vocation lui imposait de "rester hors de l'Eglise ". Simone Weil poursuit enfin sa réflexion politique et sociale. Ce sont les conditions tragiques de la guerre qui occupent ici le premier plan.
En 1937, Simone Weil lutte de toutes ses forces pour que les Européens «ne recommencent pas la guerre de Troie». Pourtant, la guerre est là en 1940 et, devant l'irréparable, elle se fonde sur l'Iliade pour analyser le mécanisme de la force meurtrière. Entre ces deux dates, une série d'articles, parus dans diverses revues, nous permet de suivre l'évolution de la philosophe qui la mène du pacifisme presque inconditionnel à l'acceptation d'un inévitable conflit. Et celle qui, en 1937, préfère la défaite à la guerre, reconnaît en 1940 que la France a le droit de combattre pour sa propre existence, justifiant ainsi l'accusation qu'elle se portera à elle-même de négligence criminelle à l'égard de sa patrie pour son soutien des milieux pacifistes d'avant 1939. Une telle évolution, si déchirante pour Simone Weil, s'accompagne naturellement de la profonde méditation qu'elle poursuit sur les problèmes coloniaux : ceux-ci l'obligent à contester, plus nettement encore en ce temps de guerre, le droit moral de la France à se réclamer des grands principes. L'affligeante constatation des bouleversements en cours pousse aussi Simone Weil à la recherche des origines de l'hitlérisme qu'elle rattache à l'Empire romain. La lucidité et le discernement de Simone Weil, penseur politique, sont tels que beaucoup des textes ici rassemblés frappent par leur actualité. Simone Fraisse en sa préface s'attache à préciser leur genèse et se plaît à souligner que, si l'on ne peut toujours prendre «à la lettre» les conclusions de Simone Weil, «on peut au moins prendre au sérieux l'intention qui l'a guidée : une attitude de soupçon à l'égard de l'histoire officielle et des idées reçues, une quête de la vérité cachée sous les images d'Épinal transmises par la tradition scolaire, et finalement une leçon d'histoire. Une leçon d'humanité aussi.»
Les cinq cahiers qui composent ce volume offrent les grandes lignes - souvent fulgurantes - d'une anthropologie religieuse, exprimée en termes rudes mais qui «nettoient». Un vaste réseau analogique enserre le tout, mais favorise, en dernière instance, les mathématiques (le logos face au muthos), ce qui donne à la pensée de cette «pythagoricienne» un éclat et une densité particuliers. L'index analytique très complet qui accompagne ce volume démonte les pièces d'un sytème conceptuel à la fois solide et raffiné.
Ce deuxième volume des Cahiers (qui en comprendront quatre au total) rassemble les carnets du début de la guerre, de 1941 à 1942, alors que Simone Weil, dans le sud de la France, en zone libre, s'oriente de plus en plus résolument vers l'approfondissement de son aspiration religieuse et «mystique». Ces textes témoignent donc de ses lectures des sources sacrées, la Bible, le Tao, la Bhagavad-Gita, les Upanishad, ainsi que de sa constante préoccupation philosophique : lectures de Platon, réflexion sur les sciences, les mathématiques notamment.
Lorsque Simone Weil meurt d'épuisement, physique et moral, en Angleterre, à Ashford, le 24 août 1943, à l'âge de trente-quatre ans, son oeuvre publiée se réduit à quelques articles parus dans des revues le plus souvent politiques ou syndicales. Mais elle laisse une quantité de manuscrits divers qui seront pieusement recueillis par ses parents et par ses amis.Bien des inédits ont pu être découverts à la suite d'un examen systématique des «papiers» mis à la disposition des éditeurs : esquisses de textes abandonnés en cours de rédaction, cahiers et carnets non reproduits dans les éditions antérieures, notes préparatoires à des cours ou à des travaux plus élaborés. Inédite aussi, pour une large part, la correspondance familiale et générale que sera offerte au public. La recherche persévérante des articles de Simone Weil a permis de retrouver des textes fort peu ou mal connus, mais nullement négligeables.L'édition des oeuvres complètes de Simone Weil ainsi réunies formera seize volumes répartis en sept tomes.
Dans le présent recueil qui réunit les études consacrées par Simone Weil à la critique sociale et politique, les Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale développent le raisonnement principal, qui commande tous les autres parce qu'il a été le souci privilégié de l'auteur, le tourment qui n'a jamais quitté Simone Weil, même, et surtout, à l'intérieur de sa pensée religieuse:le tourment de l'injustice. Depuis Marx, en tout cas, dont la doctrine est d'ailleurs longuement examinée ici, la pensée politique et sociale n'avait rien produit en Occident de plus pénétrant et de plus prophétique. Simone Weil a elle-même considéré les Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale comme son oeuvre principale. Ce texte a été écrit en 1934.